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baroudoc.overblog.com

Carnet de vie d'un médecin voyageur


Sept minutes

Publié le 20 Avril 2013, 18:12pm

Une aurore australe danse au loin derrière la plus méridionale des cabines téléphoniques françaises.

Une aurore australe danse au loin derrière la plus méridionale des cabines téléphoniques françaises.

Sept minutes !

C'est ce que le jour concède à la nuit aujourd'hui comme hier. Demain comme aujourd'hui. C'est ainsi et c'est pareil pour tout le mois d'avril. Ce sera pareil en mai.

Enfin, en juin, ce vol du soleil au profit de la lune s'étrécira en douceur pour arriver au coeur de la Midwinter : le 21 juin, le jour le plus court de l'année, me gratifiera de deux heures et une minute de lumière.

Un disque lumineux ne dépassant que de peu la ligne d'horizon me narguera.

Fier, il se dispensera d'aller flâner au zénith qu'il observera de loin avant d'aller, paresseusement, se blottir hors de ma vue, avare de sa lumière et de la chaleur qu'il me procure pour encore une poignée de mois.

Sept minutes !

Ce n'est rien. Ou pas grand-chose. Allez ! A peine plus que le temps nécessaire pour s'offrir l'écoute de "Still loving you" des Scorpions.
Fermer les yeux, s'ouvrir les sens, laisser vagabonder son esprit au gré de quelques notes de musique puis soulever ses paupières : la nuit est là!

Calme et profonde ? J'aimerais le dire, mais s'il est bien une incertitude, c'est la force du vent qui peut se décider à balayer la base de toute son ampleur et me frigorifier jusqu'aux os par la même occasion.

Sept minutes !

C'est donc le rythme quotidien auquel l'Antarctique a décidé de m'engloutir, comme une lente anesthésie, comme une amnésie programmée de ce que j'ai vécu il y a une poignée de mois lors de mon arrivée sur la base Dumont D'Urville : le jour permanent.

Rien ne prépare à cette sensation.

Mon expérience de la vie tropicale m'a habitué à gérer une vie faite de journées à l'ensoleillement relativement court mais assez constant. Mais pas ça !

Une journée éternelle où les seuls repères temporels sont des astuces sociétales, des artifices humains basés dans la plupart des cas sur des conventions alimentaires : petit-déjeuner, déjeuner, dîner. Les heures de travail s'imbriquent alors logiquement dans ce schéma. Les loisirs remplissent les espaces épars précédant le temps de sommeil, rideaux fermés bien sûr, pour contrer cette insolente lumière qui s'obstine à frapper mes paupières.

Et alors que le jour décroît, le rythme persiste.

Tout ça pour garder une "cohérence de vie".

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, vu que la plupart de mes co-hivernants sont ici pour vivre une expérience différente, une aventure humaine, la tendance d'un groupe va vers la mise en place d'habitudes le moins perturbantes possibles pour reconstituer un univers de vie connu.

Tout pour contrer la nature à la rencontre de laquelle je suis venu confronter mon âme au moins autant que mon corps.

Mais la nuit vient ...

J'attends de pouvoir observer les changements d'humeur, les signes de tristesse. J'espère éviter les dépressions hivernales. Déjà, en métropole les périodes d'obscurité sont connues pour retentir sur le moral. Qu'en sera-t-il ici ?

Faut-il s'en faire pour autant ? Non.

Car ce que les ténèbres prennent à la lumière nous permet de découvrir un nouvel angle de notre hivernage, un véritable changement de paradigme.

Enfin la voute céleste s'offre à  nous, de plus en plus belle chaque nuit.

Enfin la Voie lactée nous enrobe, nous enlace.

Enfin les aurores australes se font cabotines, avec leurs allées et venues espiègles et inattendues qu'il faut savoir avoir la patience de guetter.

C'est alors qu'il faut avoir le courage, la volonté de prendre son matériel photographique. Les - 25° C qui sont maintenant monnaie courante, m'incitent à me couvrir chaudement. Déjà, le simple fait de passer d'un bâtiment à l'autre pour aller manger provoque de tels refroidissements que je sens les poils de ma barbe se durcir.

Il fait tellement froid que la plupart de la population de la base jette un coup d'oeil dehors avant de retourner se coucher.

Il reste les irréductibles : les photographes, les blogueurs que nous sommes cherchent un nouvel angle de vue, améliorent leurs réglages, leur lumière, testent un nouvel objectif.

Avec la nuit de plus en plus présente, j'ai rejoint ceux d'entre nous qui se sont lancés dans des time-lapses. Une série de photos en plan fixe mises bout à bout permettront d'obtenir une séquence animée.

Deux heures de prises de vues me donnent de quoi monter une séquence de dix à vingt secondes de vidéo tout au plus.

Heureusement il n'est pas nécessaire de rester à côté de mon appareil. Un intervallomètre, habillement réglé, me permet de me libérer des contingences techniques.

Je profite alors du spectacle autant que je supporte la morsure du froid. Quelle bonne idée ces moufles grand froid achetées la veille du départ !

Mon appareil est en position. J'en profite pour me rapprocher de Jean-Marie, le chef météo qui, lui, varie ses prises de vues.

Discussion technique.

Appréciation personnelle.

Partage de l'instant.

Nous goûtons ce moment pour ce qu'il est : un savoureux dessert stellaire, une gourmandise visuelle.

Cette nuit, comme hier, comme demain, je dormirai moins de cinq heures. Je ne peux pas, je ne veux pas me refuser à ce que cette nature polaire extrême veut bien m'offrir.

Ce serait oublier ce pourquoi je suis venu.

 

L'aurore s'enroule littéralement autour du rayon laser du lidar qui scrute le ciel pour mesurer les composants des hautes couches de l'atmosphère.

L'aurore s'enroule littéralement autour du rayon laser du lidar qui scrute le ciel pour mesurer les composants des hautes couches de l'atmosphère.

La Voie Lactée. Deux heures de prises de vues et une évidence à voir les étoiles filer: La terrre tourne ...

La Voie Lactée. Deux heures de prises de vues et une évidence à voir les étoiles filer: La terrre tourne ...

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F
merci pour ces belles photos et cette page d’écriture ,quelque peu philosophique! je me doute que le temps vous manque pour en mettre plus souvent sur votre blog..... dommage pour nous. On va savourer celle là plusieurs fois en attendant la prochaine. Continuer à nous faire rêver et à nous faire partager votre quotidien.
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