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Carnet de vie d'un médecin voyageur


La lune est blanche

Publié le 19 Mars 2015, 08:32am

La lune est blanche
Nous y voici!

Nous y voici!

Mi Octobre 2014 : Me voici à Saint Malo.

 

Je suis parti tôt ce matin et j'ai roulé tranquillement de ma campagne charentaise jusqu'au célèbre port Malouin pour participer à mon premier festival de bande dessiné, le deuxième de France après celui d'Angoulême.

 

Alors pourquoi avoir délaissé cette ville voisine pour m'aventurer en terre bretonne ? Parce que Quai des Bulles 2014 est le festival pendant lequel l'album des frères Lepage fait officiellement sa sortie.

 

Oui ! Après 22 mois de gestation que j'imagine douloureuse, leur aventure en Antarctique va enfin être disponible.

Retour en Septembre 2012 : Brest.

Décidément les terres bretonnes sont un passage obligé pour les petits explorateurs en herbe. Surtout pour ceux d'entre nous qui ont des velléités polaires. Car c'est ici que l'Institut Paul-Émile Victor a établi ses quartiers. Cette institution qui a hérité du nom de son créateur est en charge de la logistique de la base polaire française Dumont d'Urville en Terre Adélie. Chaque année, les futurs hivernants s'y rencontrent pour la première fois lors d'un stage préparatoire qui leur explique à quelle sauce ils vont être mangé, à grand renfort d'exposés scientifiques et techniques. C'est aussi l'occasion de découvrir nos paquetages personnels d'équipement polaire.

 

Autant vous dire que l'excitation est de la partie.

 

Cette année pourtant, deux personnes présentes ne sont pas des hivernants. Il s'agit d'Emmanuel et François Lepage qui vont participer à la campagne d'été afin de réaliser un album de bande dessinée parsemé de photographies pour raconter cette aventure unique.

 

Ils n'en sont pas à leur coup d'essai. En 2010, quelques mois à peine après mon départ de Kerguelen, ils avaient effectué une rotation à bord du Marion Dufresne, le navire océanographique qui ravitaille les terres australes françaises. Il en est ressorti plusieurs expositions photos et ouvrages. C'est d'ailleurs comme ça que j'ai découvert le travail d'Emmanuel ; je passais devant la vitrine d'une librairie, et mon regard tombait sur une illustration du Mar'Duf en couverture d'un album majestueux au titre oh combien attirant pour moi «  Voyage aux îles de la Désolation ». Je rentrais d'un an de Polynésie et me retrouvais projeté deux ans en arrière comme on prend un crochet du gauche qui vous envoie droit dans les cordes. Je n'ai pas mis longtemps à le dévorer et à en apprécier la finesse et la justesse.

le récit d'une rotation à bord du Marion Dufresne.

le récit d'une rotation à bord du Marion Dufresne.

Car c'est extraordinaire ce qu'Emmanuel est capable de faire passer par ses illustrations, ses dessins, ses aquarelles. Pour avoir eu le loisir d'en discuter souvent avec des anciens des TAAF ( Terres Australes et Antarctiques Françaises), nous nous accordons sur cette sensation qu'il «  fait partie des nôtres ». Il ne s'est pas contenté de faire le tour, de visiter comme un touriste payant qui accompli son rêve ou comme un député sponsorisé par Marianne et qui veut nous convaincre, ou se convaincre, qu'il est là pour comprendre alors qu'il n'écoute aucun de nous. Non, à la lecture de son ouvrage, je ne peux que me rendre compte de tout ce qu'il contient en filigrane. Je ne peux que me dire : «  il a compris ce que j'ai vécu », du moins sur la rotation bien sur.

 

 

C'est pourquoi, ce premier jour de stage de septembre, j'ai été ravi, comme tout le monde présent,de faire de cette façon bien inattendue leur connaissance. Apprendre la raison de leur présence n'a fait qu'ajouter au plaisir. Il était alors prévu qu'ils passent un mois sur la base à partager notre quotidien pour en rendre compte à leur manière. Enthousiasmant !

Janvier 2013: Base polaire française.

 

Je suis arrivé depuis un mois, avec la majeure partie de la mission 63 et des campagnards d'été qui, eux repartiront fin février. Nous attendons avec impatience la prochaine rotation de l'Astrolabe. Coincé dans le pack, un imprévisible classique, il a maintenant trois semaines de retard. Outre l'essentiel chargement qui nous permettra de vivre en autarcie tout l'hiver, se trouve à son bord les deux derniers membres de notre mission, Claude Bachelard le médecin chef des TAAF ( et mon vénéré supérieur hiérarchique qui m'a assez fait confiance pour me confier ce poste), et les deux frères.

 

Rien n'est acquit en Antarctique et tout, absolument tout, peut être remis en question du jour au lendemain, jusqu'à imaginer fermer la base en cas de ravitaillement insuffisant. Par bonheur, ce n'est pas arrivé jusqu'à présent mais les difficultés logistiques d'un lieu aussi extrême peuvent le faire craindre, et ne font que renforcer l'admiration qu'on peut avoir pour ces équilibristes de l'organisation que sont les équipes techniques de l'IPEV, expérimentées et acharnées à mener à bien leur mission, celle qui nous permettra de mener la notre à son terme.

 

 

Par contre les espoirs artistiques de nos deux compagnons ont failli être définitivement anéantis avec le retard de l'indispensable navire. Arrivés la veille du départ du Raid, cet incroyable convoi de véhicules à chenilles « polarisées » qui parcourt mille kilomètres en dix jours pour ravitailler la base franco-italienne Concordia, ils ont dû faire des choix rapidement afin de continuer leur aventure.

 

Et c'est avec une pointe de tristesse pour nous, les hivernants de la 63, mais une grande satisfaction pour eux, que nous avons appris qu'ils étaient partis le lendemain matin vivre la grande aventure du Raid, renonçant au passage à cette expérience de la vie sur base. La vie est faite de choix !

 

Février 2015 : Les revoici ! De retour sur base, encore une fois pour 24 heures seulement, cette fois assujettis au retour de l'Astrolabe sur Hobart. Décidément !

 

Pourtant, quelle plaisir de les côtoyer encore un peu. Dans leurs regards, je vois des yeux d'enfants qui brillent de joie. Les étendues blanches du continent glacé ont fait des ravages en eux, pour le meilleur. Un instant, ils me rappellent ces baptêmes de plongée que j'ai pu accompagner, émerveillés à la découverte d'un monde sous marin qu'ils ne pouvaient soupçonner si beau, si intense. Il est des premières fois qu'on oublie jamais. Il est des premières fois qui conditionnent les suivantes.

 

Qu'ils sont charismatiques ces deux garnements ! Qu'il est agréable de les écouter raconter leurs sensations. C'est ça que je préfère ! À ce petit jeu, c'est François que je trouve le plus à l'aise. Lui dont je connaissais peu le travail auparavant, s'épanche en descriptions, en émotions, en ressenti. Il se confie, se livre et émeut. J'ai hâte de voir ses clichés.

 

Emmanuel, tout aussi gentil, me semble plus introverti, plus posé. Maintenant que je connais ses ouvrages, je me dis que ses dessins vont parler pour lui, et j'ai hâte.

 

Je ressens de la connivence entre les deux frères, ces deux personnes si terriblement complémentaires qu'ils sont venus vivre ici quelque chose d'unique qui n'appartient qu'à eux et qu'ils vont avoir la dure tâche de restituer avec leurs mots, leurs traits de plume et leurs millions de pixels.

 

Emmanuel en pleine séance de dédicace. Toujours impressionnant!

Emmanuel en pleine séance de dédicace. Toujours impressionnant!

Retour à Saint Malo.

 

Je ne les ai pas revu depuis leur départ de la station Dumont d'Urville ce jour de février 2013 qui marquait leur retour vers la civilisation et le début de mon hivernage dans cet endroit où l'expression « bout du monde » n'a plus vraiment de sens.

 

De cette brève rencontre, que va-t-il rester ? J'ai réussi à convaincre Maxime, mon chef de mission de me rejoindre au moins un jour sur le festival. Là, nous retrouvons par hasard Mathilde, une des deux hivernantes de la mission 63.

 

C'est au stand de leur excellent éditeur, Futuropolis, que nous les retrouvons en pleine séance de dédicace, comme de vraies Rock stars. Grâce aux discussions que j'ai pu avoir durant trois jours avec des fans d'une part et des artistes d'autre part, je découvre sous un œil nouveau leur notoriété et la reconnaissance professionnelle de leur travail.

 

Tous trois nous retrouvons finalement attablés avec les deux artistes autour d'un verre. Retrouvailles, échanges, plaisir du partage, émotion de la découverte du livre. Il y a des mystères dans cette vie que je ne m'explique pas. Entre autres, cette étrange capacité que nous avons avec certaines personnes d'être immédiatement à l'aise, comme si on les avait quitté la veille, même après des années.

 

Il y a des moments comme ça qui se vivent, simplement.

De joyeuses retrouvailles! Maxime et Mathilde qui m'entourent, Emmanuel et François.

De joyeuses retrouvailles! Maxime et Mathilde qui m'entourent, Emmanuel et François.

Mais le livre ?

 

 

Le livre est superbe !

 

 

Vous allez douter de mon objectivité. Vous avez tort. J'ai retrouvé dans ce nouvel opus visuel la finesse et la subtilité du premier. Avec intelligence, Emmanuel transmet l'irréalité de ces lieux. À la question, « comment peindre du blanc ? », il apporte sa réponse avec brio. François ponctue l'ouvrage de photos qui se veulent autant de cartes postales épurées qu'il accompagne d'une correspondance à destination de son amoureuse, comme autant de confidences dans lesquelles nous nous immisçons.

 

Car un voyage de cet acabit est autant un voyage intérieur qu'un voyage dans le réel, si ce n'est plus. C'est une expérience qui vous transfigure.

 

 

Emmanuel et François, le peintre et le photographe, les deux frères, l'ont bien compris.

 

Et pour eux, définitivement «  La lune est blanche ! » 

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S
J'apprécie votre blog, n'hésitez pas a visiter le mien.<br /> Cordialement
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