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Carnet de vie d'un médecin voyageur


Saisir l'aurore

Publié le 6 Août 2013, 19:52pm

Il y a tout un cérémonial pour pouvoir photographier une aurore australe.

En tout premier lieu, il faut la voir. Il faut qu'elle soit là, bien présente et bien décidée à s'offrir à l'objectif.

Quelques indices peuvent m'aider à me préparer à cette hypothèse : par exemple, une forte activité magnétique, révélée par des graphiques et signalée par le "magné-sismo" laisse penser que les éruptions solaires sont fortes.

Comme le phénomène d'aurore est corrélé à l'activité de notre étoile brillante, c'est un indicateur très intéressant.

Ensuite, il faut que la météo soit favorable. Aussi forte qu'elle puisse être, une aurore ne peut rivaliser avec l'interposition de nuages. Alors, un ciel étoilé est un bon présage.

Et puis, comme la luminosité ambiante permet encore moins de distinguer ce discret voile brumeux et verdâtre suspendu dans le ciel, une nouvelle lune est appréciée.

Enfin, il reste à trouver le bon cadrage, le bon angle de vue qui permettra de mettre en valeur la belle voilée.

Rien d'insurmontable en somme. D'autant plus qu'il suffit d'être patient et d'attendre qu'elle apparaisse dans le ciel pour se positionner;

Oui ! Photographier une aurore est une chose.

Une belle aurore s'offre langoureusement en dansant au-dessus du "Séjour".

Une belle aurore s'offre langoureusement en dansant au-dessus du "Séjour".

La filmer en est une autre.

Lors de mon premier essai, j'avais tenté de la saisir à l'aide de mon camescope.

Une fois m'a suffit pour me rendre compte que l'intensité lumineuse dégagée serait toujours insuffisante pour le capteur dont il est équipé.

C'est alors que je me suis reporté sur la technique du "time-lapse", habile mélange de procédures photographique et vidéo.

Sommairement, elle consiste à prendre une longue série de clichés qui, mis à la suite, donneront l'équivalent d'un film d'animation. Ce n'est rien de plus (ni de moins) que ce que font les studios de dessins animés mais avec des ... dessins.

Mais plusieurs problèmes se présentent alors. A raison de vingt quatre images par seconde, il faut trois cent soixante photos pour une séquence de quinze secondes.

Sachant que le temps de pose nécessaire pour réaliser un cliché est de quinze à vingt secondes, ce sont près de deux heures de prise de vues continue en extérieur qui sont requises.

Mais ceci n'est que la première difficulté. Car, s'il "suffit" de cadrer l'aurore pour la saisir sur une photographie, le challenge de la vidéo est de se placer en prévision de l'aurore supposée à venir.

Une fois en place, plus question de bouger l'appareil. Il ne me reste plus qu'à croiser les doigts et souhaiter qu'elle apparaîtra bien à l'endroit où je l'espère et qu'elle sera d'une belle intensité tout en restant "dans le champ".

Un pari, en somme, qui parfois révèle de belles surprises.

 

Un samedi soir au mois de juillet :

 

Le ciel est clair, magnifiquement dégagé.

Ce soir, c'est soirée disco. Au sens propre du terme. Toujours dans l'optique de rompre avec la monotonie de la vie isolée, les hivernants organisent, avec irrégularité, des soirées à thème.

Et, ce samedi, les déguisements indiquent avec clarté un retour au coeur des années soixante dix.

Les perruques "afros" côtoient les pantalons "pattes d'eph" bricolés par les hivernants qui prennent l'apéro traditionnel alors que "Boney M" et "Donna Summer" s'époumonent en arrière-plan plantant le décor pour la nuit à venir.

Il n'est pas encore 19 heures, pourtant, il fait nuit depuis déjà plusieurs heures. Nous sommes à la veille de la Fête Nationale et cette soirée tiendra lieu de "bal traditionnel des pompiers".

Mais, mes pensées sont ailleurs ...

Ce soir, je ne résiste pas à la tentation. Pourquoi ? Je ne sais pas. Mais, il faut que je tente ma chance !

Peut-être parce que j'ai laissé passer quelques aurores les nuits précédentes, par fatigue ou par paresse.

Peut-être à cause de cet instinct qui, quand il est récompensé, me laisse penser que j'ai de l'intuition alors qu'il ne s'agissait, selon toute probabilité, que de chance. Ce qui n'est déjà pas si mal.

Quoiqu'il en soit, je me suis préparé pour ce soir.

J'ai chargé à bloc la batterie de mon appareil et les piles (rechargeables) de l'intervallomètre, cette petite télécommande filaire indispensable dans ce contexte qui, une fois reliée à mon boitier, déclenchera les prises de vues à ma place, avec une régularité métronomique tout en économisant à mes doigts une douloureuse exposition prolongée  à la morsure glaciale extérieure.

Je me suis caparaçonné de ma tenue polaire sous laquelle j'ai cumulé deux couches de vêtements chauds et respirants. Un bonnet, une cagoule polaire, un masque facial en néoprène, un masque de ski complètent le tableau.

Sur le front, ma lampe frontale à led éclairera le chemin à suivre tandis que mes mains seront bien à l'abri, au chaud, dans mes désormais incontournables moufles "grand froid".

A le décrire comme ça, vous devez  penser que je suis prêt pour une grande expédition. Pourtant, mon but ne se trouve qu'à dix minutes de la base, à peine, près du point culminant de l'île des Pétrels, juste à côté d'un shelder scientifique connu ici sous le prénom de "Chantal" (hommage à la femme d'un ancien hivernant, je crois).

Mais c'est surtout que ce soir, il fait moins 25°C  et le vent qui souffle à plus de 20 noeuds (37 km/h) ne fait que majorer le froid ressenti.

Si je n'étais pas têtu, ça se saurait . Alors je persiste.

Arrivé sur place, il faut reconnaître qu'il fait  très très froid. Pas d'endroit abrité.

Je dois me résoudre à placer le trépied le plus près possible du sol pour lui éviter les mouvements que pourraient lui imprimer les rafales de vent.

C'est maintenant que les désagréments commencent.

Pour installer l'appareil, faire les réglages nécessaires et lancer la série de prise de vues, il faut retirer les moufles...

Là, même en y substituant des gants polaires moins chauds mais plus pratiques pour effectuer mes manipulations, je subis très vite les affres du climat. Une petite course contre la montre a lieu pour accomplir au plus vite ce qui doit être fait.

Chaque instant qui passe engourdit davantage mes doigts et ralentit la réalisation des étapes suivantes.

Enfin ! Tout est prêt ! Il ne me reste plus qu'à retourner au chaud et faire la fête une poignée d'heures.

 ...

 

La soirée suit son cours. Les "Bee Gees" en sont témoins : "John Travolta" n'a qu'à bien se tenir car sur le sol du salon reconverti en piste de danse, il  y a du niveau !

Je jette un coup d'oeil sur l'horloge accrochée au mur qui est réglée sur notre fuseau horaire. Elle est disposée juste à côté de sa jumelle sous laquelle un autocollant indique "France" pour nous rappeler quelle heure il est pour nos proches, en métropole.

Il est temps de me préparer à récupérer mon équipement.

Justement, je me suis délesté de mon cocon protecteur dans le hall à mon retour et je ne mets pas longtemps  pour me protéger au mieux de nouveau.

Dehors, le ciel est superbe !

Une magnifique aurore vert pâle s'enroule et se déroule à vue.

Elle fait les honneurs du rayon laser du Lidar qui sonde les hautes couches de l'atmosphère à la recherche d'ozone et de gaz à effet de serre.

J'en rougis de joie ou ... de froid !

Déjà, dans mon esprit, je projette les images forcément magnifiques que j'aurai bientôt la fierté de montrer à tout le monde, tout en marchant d'un pas alerte vers mon dispositif de prise de vues.

Le vent a forci. Le froid est intense. La fatigue accumulée ces derniers jours ne fait que le rendre plus dur à supporter. J'arrive enfin auprès de mon appareil.

Bizarre  ! Il ne fait pas de bruit !

D'habitude,quand je l'approche, j'entends le petit déclic caractéristique du déclencheur.

Bon ! Cela doit être à cause du vent.

Non ... Il est bel et bien éteint !

L'intervallomètre semble complétement déchargé.

J'ai bien des piles de rechange dans la petite sacoche accrochée à mon épaule mais, aussi délirant que cela puisse paraître, le froid annihile toute volonté de ma part pour les installer dans le compartiment prévu pour remplacer celles qui sont défaillantes.

Gelé, je rembarque en toute hâte mon matériel au complet. Nouvelle course contre la montre avant de réfugier mes doigts endoloris dans le cocon douillet de mes moufles. Mais les températures sont incontestablement basses et elles m'empêchent de me réchauffer rapidement.

Je m'empresse de descendre la colline pour aller contempler le résultat de ma pêche aux images.

A proximité de la base, la vue qui s'offre à moi est magnifique.

Mes doigts n'ont toujours pas retrouvé leur état normal mais je ne résiste pas :

Stop !

Moufles retirées, trépied déployé, appareil fixé. Je suis prêt pour un ultime cliché sous un angle original.

Mais ???

Qu'est-ce qui se passe ?

...

Batterie vide ! Mon pauvre appareil ne peut même plus prendre une seule photo.

 

La frustration est peut-être ce que je suis en train de ressentir ?

Conjuguée à la douleur causée par le froid, cela fait beaucoup pour ce soir.

Allez hop ! On remballe et on va au chaud ! (oui, les températures négatives me rendent pragmatique).

Quelques minutes plus tard, je m'installe devant mon ordinateur, bien disposé à le faire travailler à retraiter mes photos pour en faire une belle séquence vidéo.

J'ai parlé de frustration un peu plus tôt ? J'ai eu tort !

C'est à cet instant que je l'ai réellement ressenti. Cet instant où j'ai constaté que l'appareil avait déchargé ses batteries à une vitesse record, ne lui permettant de prendre qu'une centaine d'images ... à peine !

Le mieux dans l'histoire ?

L'appareil était parfaitement placé, et, ce n'est que dans les dernières photos que l'on peut constater l'apparition du début d'une des plus belles aurores que je n'ai jamais pu photographiée !

 

Soirée ratée ? Mauvais timing de ma part mais la vue de la base Dumont d'urville reste une consolation très honorable.

Soirée ratée ? Mauvais timing de ma part mais la vue de la base Dumont d'urville reste une consolation très honorable.

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