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Carnet de vie d'un médecin voyageur


Débarquement

Publié le 26 Septembre 2013, 03:08am

21 Janvier 1840

Jules Dumont d'Urville prend possession au nom de la France d'un territoire sur le continent antarctique en débarquant sur un rocher, un caillou battu par les vents et les vagues, cerné par les icebergs.

Ce navigateur confirmé qui avait déjà fait plusieurs fois le tour du monde appareillait 19 jours plus tôt à Hobart en Tasmanie dans le but d'atteindre le Pôle Sud magnétique. Il entraînait dans son nouveau périple deux équipages répartis à bord de deux vaisseaux, l'Astrolabe et la Zélée.

S'il a, d'une manière très originale (et peu flatteuse) nommé sa découverte « Terre Adélie » en référence à sa femme Adèle, le morceau de granit nu dans lequel fût planté le drapeau français ce jour là porte simplement le nom de « Rocher du Débarquement ».


17 Septembre 2013

Il fait beau .

Très beau même.

Le vent se fait oublier et le soleil brille, à peine camouflé derrière de très légers nuages d'altitude. Les journées se rallongent considérablement depuis plusieurs semaines. Fini les deux heures de lumière par jour et leurs franges roses-orangées qui s'étirent à l'infini. La chaleur qui émane du soleil s'en ressent même sur les parties découvertes de ma peau. Les gants sont fins, le bonnet dans la poche et les lunettes de soleil sur le nez. Un peu de crème solaire s'étale paresseusement sur les endroits les plus exposés de mon visage (et du crâne dans mon cas).

Quelle bonne idée ! Oui, quelle bonne idée cette balade revigorante sur la banquise !

Depuis quelques temps j'y pensais avec de plus en plus d'entrain. J'attendais les bonnes conditions météorologiques. Et voilà ! Me voici à marcher sur la glace de mer, dont l'épaisseur variable est environ de 1m 40 en cette période, accompagné de 5 de mes petits camarades.

Notre objectif ? Atteindre « Débarquement », tout simplement !

En gros 7,5 kilomètres de randonnée sur de la glace, pas aussi plate qu'on pourrait l'imaginer et recouverte d'une couche de poudreuse de 5 à 20 centimètres d'épaisseur, la faute aux chutes de neige des jours précédents. D'habitude, le vent se charge de nettoyer la surface jusqu'à la couche gelée sous-jacente beaucoup plus facile à pratiquer, mais on ne peut pas tout avoir... C'est de toute façon une bonne occasion de me dépenser et de me « faire les jambes ».

Alors, je marche ! Le trajet est simple : c'est tout droit !

Marcher tout droit!

Marcher tout droit!

 De temps en temps, un berg sur le côté m'attire l’œil et justifie une petite pause le temps de le fixer sur pellicule. Et puis, parfois, on oublie de relever la tête et on avance, pressé de rejoindre notre but. Après tout, des bergs, il y en aura aussi là bas. De l'autre côté, ce sont des bergs que je n'ai pas encore vu : trop loin de la base pour ça.


Sur terrain plat, uniforme, il est très dur d'évaluer les distances avec justesse. Le monticule visé  semble ne par se rapprocher alors qu'il est visible depuis mon départ de la base. Il y en aurait presque quelque chose de décourageant. Mais enfin, nous l'atteignons.

À son approche, une remarque jaillit spontanément de la bouche d'un des explorateurs du jour :

-Quand je pense qu'ils ont traversé l'océan dans une coquille de noix pour arriver jusqu'ici !

L'Astrolabe, la corvette qui a fait le voyage en 1840 n'en était pas à son coup d'essai. Lancée en 1811, elle avait à son actif deux tours du monde avant de partir à la découverte de l'océan antarctique. Pourtant, avec ses 31 mètres de long, ses 8,7 mètres de large et ses 380 tonneaux, je l'imagine bien frêle dans ces eaux violentes et dangereuses.

À titre de comparaison, son homonyme moderne qui a la tâche de ravitailler la base chaque année dans des conditions toujours difficiles fait 65 mètres de long pour 12,8 mètres de large et un tonnage de 949 tonnes. Chaque personne qui a la chance d'être venue dans ces contrées par ce moyen de transport garde un souvenir ému d'un voyage mémorable et secouant au sens littéral du terme.


Mais il est temps d'aller voir de plus près la plaque commémorative visée quelque part sur ce rocher. Deux personnes du groupe sont déjà venues et nous l'indiquent du bout du doigt. Mais rien n'y fait, je ne la vois pas. Je ne suis pas le seul. Il faut dire qu'avec sa dimension modeste, disposée en hauteur sur ce grand caillou, elle n'est pas évidente de prime abord.

Après une brève ascension le long d'une pente glacée , enfin, la voilà ! La matérialisation d'une page d'Histoire avec un grand H.  Une plaque au milieu de nulle part, preuve du passage d'un homme et témoignage d'une ponctuation remarquable dans l'histoire de la science et de l'exploration de l'Antarctique.

Une plaque commémorative discrète sur un bloc de granit au milieu de nulle part

Une plaque commémorative discrète sur un bloc de granit au milieu de nulle part

L'historicité offerte par ce morceau de métal n'est vraiment pas le seul bénéfice à être arrivé. S'offre à moi une vue panoramique grandiose sur 360° faite d'étendues blanches scintillantes à perte de vue et de blocs de glace monumentaux dressés au milieu de nulle part comme d'immenses cathédrales gelées.

Là-bas, droit devant moi, la base, ensemble de petites tâches colorées, une pointe de rouge, une touche de bleu, au sommet d'une colline pierreuse m’apparaît ridiculement petite, désespérément seule.

La vue est grandiose du rocher du Débarquement.

La vue est grandiose du rocher du Débarquement.

Alors que les clichés remplissent nos cartes mémoires en vue de faire un beau panoramique comme c'est la mode, un petit creux se faire vigoureusement sentir et nous rappelle que les nourritures intellectuelles ne sont pas suffisantes pour de simples hommes. C'est l'heure de sortir de nos sacs à dos les petits en-cas qui nous ont alourdis le dos avant de réconforter nos estomacs. Nous avons là des « authentiques » rations de combat approuvées OTAN, passablement périmées mais encore consommables : C'est la première fois que je goûte à ce genre de produit. L'occasion est idéale et offre un facile petit parfum d'aventure supplémentaire à la sortie du jour. Un cassoulet plus tard, nous trinquons enfin tous ensemble d'un verre de vin, comme pour rendre un nouvel hommage aux découvreurs de ces terres qui nous ont, à un moment de notre vie, fait rêver au point de postuler pour hiverner un an sur place. Une connexion bien involontaire avec eux que je découvre au détour d'une lecture dans le confort de mon bureau à mon retour sur la base :
 

La cérémonie se termina comme elle devait finir, par une libation. Nous vidâmes à la gloire de la France qui nous occupait alors bien vivement, une bouteille du plus généreux de ses vins, qu'un de nos compagnons avait eu la présence d'esprit d'apporter avec lui. Jamais vin de Bordeaux ne fut appelé à jouer un rôle plus digne ; jamais bouteille ne fut vidée plus à propos 

Dubouzet, second de la Zélée ( Cdt Jacquinot, Voyage au Pôle sud..., TVIII : 149, cité par Da Costa 1958:70)

Des cathédrales de glace se dressent sur les étendues immaculées.

Des cathédrales de glace se dressent sur les étendues immaculées.

Le chemin du retour s'avère plus flânant, plus tranquille, à explorer plus avant les monticules glacés, nous déroutant de l'un à l'autre au gré des envies, des attirances particulières pour ces blocs majestueux et spectaculaires.


Comment décrire la sensation que j'éprouve à me trouver au pied de l'un de ces éphémères géants étincelants de ce feu solaire qu'ils miroitent, qui dans quelques années sera peut-être en pleine mer et dérivera pendant des mois avant de fondre complètement ?

Minuscule ?
Insignifiant ?
Dérisoire ?

Un iceberg, au delà de l'image qu'il donne de lui même, donne surtout à réfléchir à sa propre condition.

Étonnamment, je me sens plus serein après la leçon d'humilité que la Nature me dispense une nouvelle fois.

La fatigue qui commence à s'accumuler dans mes jambes et mon dos à chaque pas supplémentaire participe peut être de cette perception. La neige crisse à chacun de mes pas pesants et laborieux.


Déjà la base se rapproche. Sa promiscuité renouvelée se fait incontournable.

Ce soir, après les 18 km abattus au final, je sais déjà que l'insomnie qui m'a souvent joué des tours cet hiver ne se manifestera pas.

Ce soir, je dormirais d'une traite, d'un sommeil réparateur où des navires en bois naviguent sur la mer brasillante au soleil couchant des mers polaires couvertes de bergs. Un vrai film d'aventure !

Un grand berg? Des hommes tout petits?

Un grand berg? Des hommes tout petits?

Chaque berg a sa forme propre, découpée par les vents.

Chaque berg a sa forme propre, découpée par les vents.

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A
Merci David, supers photos. Ca me rappelle une sortie seatruck l'été dernier à Débarquement et beaucoup d'autres souvenirs...
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